Chapitre 5

 

 

C’était la cinquième semaine. J’entrai dans la grotte en traînant les pieds car j’aurais préféré m’évanouir une nouvelle fois sous les coups de Bones plutôt que de subir ce qui m’attendait. Mon relookage sous la houlette d’un vampire.

Il n’était pas perché sur son rocher habituel. Peut-être dormait-il encore. J’avais une dizaine de minutes d’avance. Cette fois-ci, j’avais mis moins de temps que d’habitude pour inventer une excuse bidon à dire à ma mère. Les premières semaines, je lui avais raconté que j’avais trouvé un emploi de serveuse, mais comme j’étais continuellement fauchée, je savais que j’allais devoir être plus inventive. Au bout du compte, je décidai de lui dire que je m’étais inscrite à un stage de préparation intensive en vue de m’engager dans l’armée. Elle était atterrée à la pensée de me voir entre les mains des militaires, mais je l’assurai que tout ce qui m’intéressait, c’était l’entraînement, car cela m’aiderait dans mes activités, disons, périscolaires. Le mot était pour le moins approprié, car à ma connaissance la chasse aux vampires ne faisait partie d’aucun programme universitaire.

— Bones ? appelai-je en m’enfonçant plus profondément dans la caverne.

Je sentis un glissement d’air au-dessus de moi. Je pivotai sur une jambe tout en projetant l’autre avec force dans les côtes de mon agresseur. Ensuite, je plongeai à temps pour éviter le poing qui fonçait en direction de mon crâne et je réalisai un saut périlleux arrière pour me mettre hors de portée du coup suivant.

— Très bien !

La voix, empreinte de satisfaction, était celle de mon entraîneur mort-vivant.

Je me détendis.

— Tu me testes encore, Bones ? Et d’où es-tu sorti, d’abord ?

— De là-haut, me répondit-il en me montrant le plafond.

Je suivis son geste et vis une petite crevasse dans la roche, à une trentaine de mètres du sol. Comment diable avait-il réussi à monter jusque-là ?

— Comme ça, répondit-il comme s’il avait lu dans mes pensées avant de se propulser tout droit dans les airs.

On aurait dit qu’il avait été tiré par une corde invisible.

J’étais bouche bée. En cinq semaines, il ne m’avait encore rien montré de tel.

— Waouh. Pas mal. C’est nouveau ?

— Non, ma belle, dit-il en retombant sur ses pieds avec grâce. C’est un vieux truc, comme moi. N’oublie pas qu’avec les vampires, tu peux te faire prendre dans tous les sens.

— Compris, murmurai-je.

Cinq semaines plus tôt, j’aurais rougi comme une écrevisse. Maintenant, ce genre de propos à double sens ne me faisait plus ciller.

— Bon, passons à la phase finale : te transformer en séductrice. Ça risque d’être l’épreuve la plus dure.

— Merci beaucoup.

Nous nous rendîmes dans son salon de fortune. La pièce avait l’air plutôt normale, abstraction faite des murs en calcaire et des stalagmites. Bones s’était raccordé clandestinement à une ligne électrique voisine et l’avait astucieusement déroutée jusqu’à la grotte. Cela lui permettait d’avoir de la lumière, un ordinateur et une télévision, le tout branché à côté du canapé et des fauteuils. Il avait même un radiateur, dont il se servait quand il en avait assez des douze degrés ambiants de la caverne. Avec quelques tableaux au mur et des coussins sur le canapé, on aurait pu se croire dans un tableau sorti tout droit des pages d’un magazine de décoration intérieure.

Bones prit sa veste en jean et me ramena vers l’entrée de la grotte.

— Viens. On va dans un institut de beauté, et je crois qu’on va y rester un petit bout de temps.

 

— Tu rigoles.

Je regardai, mi-horrifiée, mi-incrédule, mon reflet dans le grand miroir que Bones avait posé contre le mur. Après cinq heures passées au Salon Hot Hair, on aurait dit que je sortais du tambour d’une machine à laver. J’étais passée par tous les cycles : lavage, épilation à la cire et à la pince, rasage, séchage, manucure, pédicure, ponçage, gommage, coiffage, et enfin maquillage. Lorsque Bones était revenu me chercher, je n’avais même pas voulu me regarder, et j’avais refusé de lui adresser la parole sur le trajet du retour. Mais la vision du résultat final me fit sortir de mon silence.

— Pas question que je sorte en public comme ça !

Visiblement, pendant que je subissais une véritable torture à l’institut de beauté, Bones était allé faire des courses. Je ne lui demandai pas d’où venait l’argent, car je ne pouvais m’empêcher de l’imaginer en train d’hypnotiser des personnes âgées sans défense pour les délester à la fois de leur sang et de leur portefeuille. Il avait acheté des bottes, des boucles d’oreilles, des soutiens-gorge push-up, des jupes, et des choses qui, selon ses dires, étaient des robes, mais que j’aurais plutôt qualifiées de morceaux de robes. J’en avais justement une sur moi, un modèle vert brillant et argent qui m’arrivait à environ dix centimètres au-dessus des genoux et qui était franchement trop décolleté. Cette robe, combinée à mes nouvelles bottes en cuir, à mes cheveux frisés et à mon maquillage, me donnait l’allure d’une prostituée bas de gamme.

— Tu es époustouflante, dit-il avec un large sourire. J’ai du mal à me retenir de t’arracher tes vêtements.

— Tu trouves ça drôle, hein ? Merde, pour toi, c’est juste une bonne occasion de rigoler !

Il bondit vers moi.

— Ce n’est pas une blague, mais c’est un jeu. Le gagnant remporte la mise. Tu dois profiter de tous les avantages à ta disposition. Si ta victime est distraite par ce qu’il y a là-dedans (il tira sur ma robe pour jeter un coup d’oeil dans mon décolleté avant que la tape que je lui administrai lui fasse lâcher prise), alors elle ne s’attendra pas à ça.

Je sentis une chose dure appuyée contre mon ventre. Je la saisis à deux mains et redressai les épaules.

— T’as un pieu dans la poche, Bones, ou bien c’est ma nouvelle robe qui te plaît ?

Le sourire qu’il me lança contenait plus de sous-entendus qu’une heure entière de conversation.

— Cette fois-ci, c’est un pieu. Mais tu peux toujours tâter aux alentours, on ne sait jamais ce que tu pourrais trouver.

— Vaudrait mieux que ce petit jeu fasse partie de l’entraînement à la conversation cochonne, si tu ne veux pas qu’on essaie ce nouveau pieu.

— Allons, mon chou, ce n’est pas un rendez-vous d’amoureux. Concentre-toi ! Ceci dit, tu es vraiment superbe. Ce soutien-gorge te fait un décolleté fabuleux.

— Ordure, lui crachai-je.

Je me retins de baisser les yeux pour voir par moi-même. Je vérifierais plus tard, lorsqu’il ne regarderait pas.

— Continuons, Chaton. Mets le pieu dans ta botte. Il y a une boucle prévue à cet effet.

Je tendis la main et trouvai un cercle de cuir à l’intérieur de chaque botte. Le pieu s’y adaptait parfaitement. Il était caché mais restait à portée de main. Moi qui me demandais justement où j’étais censée cacher une arme dans cette robe moulante.

— Cache l’autre aussi, m’ordonna-t-il.

Je lui obéis. Je portais maintenant ma tenue complète de Cat, la « salope tueuse de vampires ».

— La boucle, c’est une très bonne idée, Bones.

À peine avais-je prononcé ce compliment que je le regrettai. Les louanges étaient inutiles. Nous n’étions pas amis, mais associés.

— C’est un truc qui m’a déjà servi une fois ou deux. Hmm, il y a encore un truc qui cloche, quelque chose qui manque...

Il marchait autour de moi. Je me tenais immobile pendant qu’il me regardait sous toutes les coutures. C’était assez énervant.

— J’ai trouvé ! déclara-t-il soudain en claquant des doigts en signe de triomphe. Enlève ta culotte.

— Quoi ?

Où voulait-il en venir exactement ?

— Ta culotte. Tu sais, ton slip, string, cache-sexe...

— Ça va pas, non ? l’interrompis-je. Là, je dis non ! Qu’est-ce que mes sous-vêtements ont à voir là-dedans ? Pas question que j’exhibe mon... mon entrejambe à qui que ce soit, quoi que tu puisses dire !

Il tendit ses mains vers moi en signe de conciliation.

— Écoute, tu n’as rien à exhiber à personne. Crois-moi, un vampire n’a pas besoin que tu lui montres quoi que ce soit, il saura tout de suite si ton cadeau est déballé.

Je passai outre sa métaphore et j’explosai en sautant dans le plat à pieds joints.

— Et comment il saurait ça ? A cause de l’absence de plis sous la robe ?

— L’odeur, mon chou, répondit-il instantanément. (C’en était trop. Mon visage devait arborer toutes les teintes de rouge possibles.) Aucun vampire au monde ne s’y tromperait. C’est comme si tu brandissais de l’herbe à chat sous le nez d’un chaton. Le type reçoit une bonne bouffée de...

— C’est fini, oui ? (J’avais du mal à contenir ma gêne.) J’ai compris ! N’insiste pas, OK ? Merde, ce que tu peux être... vulgaire !

Utilisant ma colère comme bouclier, je parvins de nouveau à le regarder dans les yeux.

— Je ne vois pas du tout en quoi c’est nécessaire. Tu m’as fait enfiler cette tenue d’allumeuse, tu m’as coiffée et maquillée comme une traînée, et je vais leur dire des cochonneries à faire rougir un charretier. Si ça ne suffit pas à les convaincre de m’emmener faire un tour, il y a de quoi désespérer.

Il se tenait immobile à la manière des vampires, pareil à une statue. Je détestais le voir faire ça, parce que ça me rappelait à quel point nos deux espèces étaient différentes. J’étais moi-même à moitié contaminée. Le même sang coulait en partie dans mes veines. Son visage était pensif – à le voir, la discussion aurait aussi bien pu porter sur la météo. La lumière du plafond faisait ressortir les creux de son visage et ses pommettes saillantes. Je continuais à penser qu’il avait les traits les plus ciselés que j’avais jamais vus.

— Laisse-moi t’expliquer un truc, ma belle, finit-il par répondre. Tu es très appétissante avec tes nouvelles fringues, mais imagine que le type préfère les blondes ? Ou les brunes ? Ou qu’il aime les derrières un peu plus rebondis ? Ce ne sont pas des débutants à la recherche de la première artère venue. Ce sont des Maîtres vampires aux goûts bien définis. On aura peut-être besoin d’un truc en plus pour faire pencher la balance, pour ainsi dire. Dis-toi que c’est... de la publicité. Ça te pose vraiment un problème ? De toute façon, grâce à son odorat, un vampire peut te sentir dès le départ. Tiens, je peux te dire tout de suite si tu as tes règles, culotte ou pas. Il y a des trucs qui...

— C’est bon ! (Inspire doucement, expire doucement, pensai-je. Ne le laisse pas voir à quel point il ta traumatisée en disant qu’il pouvait sentir ton sang menstruel.) J’ai compris. C’est d’accord, je le ferai quand on sortira vendredi. Mais pas avant, et ce n’est pas négociable.

— Comme tu veux. (Il avait l’air de lâcher prise, mais ce n’était qu’une illusion. On faisait toujours tout à sa manière. Il faisait juste semblant de me laisser gagner quelques batailles.) Bon, maintenant, passons aux travaux pratiques.

 

Nous étions assis à une table, l’un en face de l’autre. Malgré mes protestations, Bones me tenait les mains. Selon lui, si je sourcillais ou si je me tortillais trop souvent, ça se terminerait en bain de sang. Dans tous les sens du terme. Décortiquant les expressions de mon visage et les mouvements de mes mains, il semblait doté d’un détecteur de mensonge à toute épreuve. Chaque rougeur ou chaque mouvement de recul me vaudrait quinze kilomètres de jogging dans les bois avec Bones à mes trousses. J’étais déterminée à ne pas subir cette torture.

— Tu es affriolante, mon chou. La seule chose qui pourrait rendre ta bouche encore plus belle, ce serait de la voir glisser sur ma queue. Je parie que tu pourrais faire repartir mon coeur. J’aimerais te prendre par-derrière juste pour t’entendre crier le plus fort possible. Je suis sûr que tu aimes te faire secouer quand tu baises et que tu rêves que je te déchire jusqu’à ce que tu ne puisses même plus me supplier...

— Eh bien, tu m’as l’air d’être sérieusement en manque, dis-je d’un ton railleur.

En réalité, j’étais fière d’avoir réussi à ne pas m’enfuir en courant.

Ce n’était pas seulement dû à ses paroles ou aux petits cercles que son pouce dessinait sur ma paume. Ses yeux, sombres et brûlants, comme s’ils étaient allumés de l’intérieur, fixaient les miens d’un air entendu qui rendait chaque mot encore plus intime. Un air plein de promesses et de menaces. Sa langue jaillit entre ses dents et passa sur sa lèvre inférieure, et je me demandai s’il s’imaginait en train de me faire toutes les choses qu’il décrivait. Il me fallut un énorme effort de volonté pour soutenir son regard.

— Je prendrai tes seins dans ma bouche et je lécherai tes tétons jusqu’à ce qu’ils deviennent rouge foncé. C’est l’effet que ça leur fera, ma belle. Plus je mordille et plus je lèche, plus ils s’assombrissent. Je vais te dire un secret à propos des vampires : on peut diriger le flux sanguin dans notre corps, aussi longtemps qu’on le veut. J’ai hâte de découvrir quel goût tu as, et tu ne voudras pas que je m’arrête, même après que je t’aurai complètement épuisée. Tu auras l’impression d’avoir pris feu, ta peau te brûlera. Je sucerai tous tes fluides. Et ensuite, je boirai ton sang.

— Hein ?

Je commençais à comprendre la signification de ses deux dernières phrases, et je l’imaginai tout à coup en train de me faire ça.

La seconde suivante, je sentis mes joues rougir. Humiliée, je retirai vivement mes mains et je me levai si vite que je renversai ma chaise.

Son rire sarcastique parvint à mes oreilles.

— Oh, Chaton, tu t’en sortais si bien ! Faut croire que tu ne pouvais pas dire non à une petite balade dans les bois. C’est une nuit idéale, je sens un orage qui approche. Et tu te demandes comment j’ai tout de suite vu à quel point tu étais naïve ! J’ai connu des bonnes soeurs moins prudes que toi. Je savais que ce serait les trucs oraux qui te perdraient, j’aurais parié ma vie là-dessus.

— Tu n’as pas de vie, tu es mort.

J’essayais de garder cela à l’esprit, mais c’était difficile en l’écoutant décrire très en détail tout ce qu’il pouvait me faire – non pas que je le laisserais faire, bien sûr ! Je secouai la tête pour essayer d’en chasser les images qui s’y bousculaient.

— C’est une question d’opinion. D’ailleurs, si tu prends comme critères les sens et les réflexes, je suis aussi vivant qu’un humain, je suis même un modèle amélioré.

— Amélioré ? Tu n’es pas un ordinateur. Tu es un tueur.

Il balança sa chaise sur ses deux pieds arrière, en parfait équilibre. Il portait un pull gris anthracite qui moulait ses épaules et mettait ses clavicules en évidence. Il portait presque exclusivement des pantalons noirs ; je me demandais s’il en avait d’une autre couleur. Les couleurs sombres faisaient ressortir ses cheveux clairs et sa peau pâle en les rendant encore plus incandescents. Je savais que c’était voulu. Avec Bones, rien n’était laissé au hasard. Avec ces incroyables pommettes et son physique impressionnant, il était éblouissant. Et dangereux, mais, au fil des semaines, une grande partie de la peur qu’il m’inspirait m’avait quittée.

— Toi aussi tu es une tueuse, ma belle, tu as oublié ? L’histoire de la paille et de la poutre, ça te dit quelque chose ? Franchement, Chaton, pourquoi est-ce que notre précédent sujet de conversation te gêne autant ? Le connard qui ta sautée n’a pas commencé par t’embrasser partout ? Ne me dis pas que cet abruti a oublié les préliminaires.

— Eh bien si, à moins que le fait d’ôter ses vêtements fasse partie des préliminaires. (Que Bones aille se faire foutre, et Danny Milton avec lui, pensai-je. Un jour, peut-être, je pourrai évoquer ce souvenir sans rouvrir la cicatrice qu’il m’a laissée.) On pourrait arrêter de parler de ça ? Ça ne me met pas vraiment dans le bon état d’esprit.

Une ombre froide passa brièvement sur son visage, mais sa voix était légère.

— Laisse tomber, ma belle. Si je le croise, je le casserai en deux pour toi. OK, on ne parlera plus de lui. Tu es prête à revenir à la table ? Ou bien tu as encore besoin de quelques minutes pour te refroidir ?

Il avait retrouvé ce ton narquois qui chargeait le moindre mot de sous-entendus.

— Je suis prête. Tout à l’heure, je ne l’étais pas. (Je me rassis à la table et glissai mes mains dans les siennes.) Vas-y à fond.

Il sourit en remuant ses lèvres d’un air sexy, et le feu se ralluma dans ses yeux.

— J’adorerais y aller à fond. Je vais te dire comment je m’y prendrais...

 

Deux heures plus tard, mes oreilles n’étaient plus que deux braises incandescentes et je lui devais soixante kilomètres. Bones était d’excellente humeur. Pourquoi ne l’aurait-il pas été ? Il venait de me baiser en paroles jusqu’à l’épuisement. D’un ton acerbe, je lui demandai s’il voulait une cigarette après avoir fini, et il m’informa en riant qu’il avait arrêté de fumer. Il avait entendu dire que c’était mauvais pour la santé. En tout cas, il s’amusait comme un petit fou avec ses propres blagues.

Je me rendis dans l’une des petites zones fermées de la grotte pour ôter ma robe de prostituée et enfiler ma tenue de jogging. Bones n’était pas du genre magnanime, et le fait que le temps avait tourné à l’orage ne le gênait pas du tout. Nous irions courir dans les bois, point final. Les cheveux relevés en chignon pour éviter qu’ils me fouettent le visage, je ressortis en me glissant entre les rochers et le trouvai qui m’attendait. Il me regarda des pieds à la tête, et ses lèvres reprirent leur pli arrogant.

— Voilà le Chaton que j’aime. Tu paraissais si différente que j’avais l’impression que ce n’était pas toi. Prête à aller jouer sous la pluie ?

— Finissons-en. Il est presque 21 heures et j’aimerais rentrer chez moi. Après la soirée que je viens de passer, je ressens le besoin de me laver.

— Dans ce cas, ma belle (nous étions arrivés à l’entrée de la grotte et la pluie tombait à verse), tu vas être servie. C’est parti pour la douche.

La course fut violente, comme prévu. Il eut même le culot de rire derrière moi du début à la fin. Lorsque je montai dans mon pick-up, j’étais trempée jusqu’aux os et complètement épuisée. Il me fallait une heure et demie de route pour faire l’aller-retour entre la maison et la grotte, et le pick-up consommait énormément. Bones allait devoir participer à mes frais de déplacement, parce qu’il n’était pas question que l’argent que j’avais mis de côté pour mes études serve à payer l’essence.

Les lumières de la maison étaient éteintes lorsque je me garai, et la pluie n’était plus qu’une petite bruine. J’ôtai mes chaussures et me dirigeai tout droit vers la salle de bains. Une fois à l’intérieur, j’enlevai mes vêtements et me fis couler un bain chaud.

Je fermai les yeux en me glissant dans l’eau. J’avais mal partout après ces soixante kilomètres. Je restai immobile quelques minutes, le temps de me détendre. La vapeur d’eau avait fait apparaître des petites gouttes sur ma lèvre supérieure. Je les essuyai et tressaillis, car le frôlement de mes doigts causa une réaction inattendue dans mon ventre.

Je recommençai cette expérience inédite en imaginant qu’il s’agissait des doigts de quelqu’un d’autre. Tout mon corps se couvrit de chair de poule et, encore plus surprenant, mes tétons durcirent.

Je pris ensuite mes seins dans le creux de mes mains, le souffle coupé par la sensation qui m’envahissait. J’avais désormais l’impression que l’eau me caressait elle aussi jusque dans les endroits les plus intimes. Je frôlai l’extérieur de mes jambes, étonnée des vagues de plaisir que cela me procurait. Puis je glissai la main à l’intérieur de ma cuisse. La culpabilité m’arrêta un moment, mais je poursuivis mes explorations.

Je laissai échapper un doux gémissement. Les yeux clos et la bouche ouverte, j’aspirai l’air chaud et humide tandis que mes doigts bougeaient un peu plus vite, encore un peu plus vite, encore un peu plus vite...

... tu sentiras ta petite chatte étroite et humide enserrée autour de moi et tu voudras que je te pénètre encore plus profondément...

Les mots de Bones me revinrent soudain à l’esprit et je retirai vivement ma main comme sous l’effet d’une brûlure.

— Oh, merde !

Je bondis hors de la baignoire, glissai sur le carrelage mouillé et tombai par terre dans un grand fracas.

— Bordel de merde ! criai-je.

Super, j’allais avoir une marque. Un bleu énorme, à l’échelle de ma bêtise.

— Catherine, qu’est-ce qui se passe ?

Ma mère était de l’autre côté de la porte de la salle de bains. Ma chute ou mon cri avaient dû la réveiller.

— Ça va, maman, j’ai glissé. Je n’ai rien.

Je me séchai avec une serviette tout en me maudissant à voix basse.

— C’est complètement débile de rêver d’un vampire. C’est quoi ton problème, hein ?

— À qui est-ce que tu parles ?

Apparemment, ma mère était toujours derrière la porte.

— À personne. (Personne d’intelligent, en tout cas.) Retourne te coucher.

Après avoir enfilé un pyjama, je descendis pour mettre mes vêtements sales à la machine en me disant qu’il faudrait que je pense à les laver à mon réveil. Lorsque j’entrai dans la chambre que je partageais avec ma mère, je la trouvai assise dans son lit.

C’était inhabituel. Normalement, elle s’endormait avant 21 heures tous les soirs.

— Catherine, il faut qu’on parle.

Elle n’aurait pas pu choisir un pire moment, mais je me retins de bâiller et lui demandai de quoi elle voulait parler.

— De ton avenir, bien sûr. Je sais que tu as retardé ton entrée à l’université de deux ans, le temps de nous aider après l’infarctus de Papy Joe, et que tu as économisé pendant deux autres années pour pouvoir t’inscrire à la faculté de l’État de l’Ohio après ton premier cycle à la fac locale. Mais tu vas bientôt partir. Tu vas vivre toute seule et je me fais du souci pour toi.

— Maman, ne t’en fais pas, je ferai attention...

— Tu ne peux pas oublier le monstre qui est en toi, m’interrompit-elle.

Je sentis ma bouche se crisper. Bon Dieu, elle avait vraiment choisi le moment idéal pour aborder le sujet ! « Tu as un monstre en toi, Catherine. » Tels avaient été les premiers mots qu’elle avait prononcés le jour de mes seize ans, lorsqu’elle m’avait dit ce que j’étais.

— J’ai peur pour toi depuis le jour où j’ai découvert que j’étais enceinte, continua-t-elle. (La lumière était éteinte, mais je voyais combien son visage était tendu.) Lorsque tu es née, tu ressemblais déjà comme deux gouttes d’eau à ton père. Ensuite, chaque jour qui passait, j’ai vu tes différences grandir en même temps que toi. Bientôt, tu vas partir et je ne serai plus là pour veiller sur toi. Tu ne pourras plus compter que sur toi-même pour ne pas devenir comme le monstre qui t’a engendrée. Il ne faut pas que cela arrive. Finis ton cursus, décroche ton diplôme. Déménage loin d’ici, fais-toi des amis, c’est ce qui peut t’arriver de mieux. Mais sois prudente. N’oublie jamais que tu n’es pas comme tout le monde. Les autres n’ont pas en eux un démon qui cherche à sortir.

Pour la première fois de ma vie, j’avais envie de lui dire que je n’étais pas de son avis. Qu’il n’y avait peut-être aucun démon en moi. Qu’il était possible que mon père ait été un sale type avant de devenir un vampire, et que mes particularités faisaient de moi un être différent, mais pas à moitié maléfique.

Je faillis lui exposer mes arguments, mais, au dernier moment, je décidai de me taire. J’avais remarqué que nos relations s’étaient fortement améliorées depuis que j’avais commencé à tuer des vampires. Elle m’aimait, je le savais, mais auparavant j’avais toujours eu l’impression que, tout au fond d’elle-même, elle me reprochait les circonstances de ma naissance et ses répercussions.

— Je n’oublierai pas, maman, me contentai-je de dire. Je n’oublierai pas, je te le promets.

Ses traits s’adoucirent. En la voyant apaisée, je fus contente de m’être tue. Ce n’était pas la peine de la contrarier. C’était une femme qui avait élevé un enfant né d’un viol, et notre petite ville lui avait fait payer le fait d’être devenue mère en dehors des liens du mariage. Et comme si cela ne suffisait pas, je n’avais pas vraiment été une enfant normale. Une leçon sur les nuances entre le bien et le mal était certainement la dernière chose dont elle avait besoin.

— D’ailleurs, continuai-je, je repars en chasse vendredi. Je rentrerai certainement tard. Je... je sens que je vais en trouver un.

Ouais. Je le sens bien, pensai-je.

Elle sourit.

— Je suis fière de toi, mon bébé.

J’acquiesçai en faisant taire ma culpabilité. Si elle découvrait la vérité à propos de Bones, me dis-je, elle ne me pardonnerait jamais. Elle ne comprendrait pas que je me sois associée à un vampire, quelle qu’en soit la raison.

— Je sais.

Elle s’allongea sur son lit. J’en fis de même et essayai de m’endormir. Mais les craintes liées à ma nouvelle vision des choses, et à celui qui en était responsable, m’empêchèrent de trouver le sommeil.

Au Bord de la Tombe
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